Written by Jean-Simon Bombardier. This article is my 4th oldest. It is 788 words long.
Une guerre
Au matin il faisait noir. Par la fenêtre, j'apercevais au soleil rayonnant, un été si chaud. J'avais si froid dans cet hiver glacial. Je courbai les épaules sous le sifflement des balles. Je me jetai au sol sous le souffle des explosions. C'était la guerre et son odeur de mort. Je n'y étais pas préparé. Les échos de la guerre n'avaient jamais trouvé refuge dans mon esprit. Sous mon armure de chevalier, je l'avoue, je n'étais qu'un enfant. Je me plaisais de ma naïveté, des longues ballades dans ces voies égarées, bordées de réelles fabulations. Dans cette guerre, je me retrouvai désarmé, dénudé de toute notion de survie, de tactiques militaires. Réflexe instinctif, je me recroquevillai quelques jours dans un trou. Je ne pus dormir. Le bruit des obus, des cris et des questionnements m'effrayaient à ce point que je n'arrivai guère à trouver le sommeil. J'ai aussi recherché le réconfort et les secours, je n'ai trouvé que la terreur et l'impuissance. Autour de moi, la mort courait. Jamais je n'aurais pu imaginer un tel désert de solitude, un tel brasier d'illusions tombées sous le feu de l'insouciance. Cette brume mariée à la nuit était imprégnée du parfum incisif de la mort. Ces crocs perçaient mon cœur, remplissaient de sang mes yeux. Mes mains meurtries caressaient la chevelure de la mort.
Les explosions ont cessé, les tirs aussi. Vint le silence d'une seconde puis le silence d'une heure et celui d'une éternité. Je me relevai avec la peur sur les épaules. Le brouillard était si épais que même la nuit s'y perdit. Sans la présence des astres, d'un phare ou d'un gazouillement familier, le naufrage paraissait inévitable. J'avançais à tâtons, un demi pas à la fois. D'une papillonnante main, je touchai un arbre mort, un rocher, un autre arbre, puis un homme mort. Je bondis, gagnai un petit sentier cahoteux et courus au hasard. Je courais si vite. Je ne voulais être rejoint alors qu'en réalité, je me dirigeais peut-être dans la gueule du loup. Je courais si vite, poussé par la peur et la terreur, j'avançais en faisant le repentir des mes écarts de conduite, en implorant un Dieu, je m'excuse. Mon cœur voulait éventrer ma poitrine, mes jambes ne cessaient d'avancer. J'heurtais les branchages, trébuchais sur des pierres, jamais je ne ralentissais. Je voulais être ailleurs. Et même si je n'avais guère d'indication que là-bas était meilleur, il ne pouvait certes être pire qu'ici. Les yeux rivés devant moi, je fuyais ma peur, j'aurais pu courir une vie. À l'orée d'une clairière, mes pieds ont heurté un obstacle et j'atterris face première sur le sol. En relevant la tête, la lune perçait l'épais camouflage, l'horizon m'était dévoilé. Devant moi, mille hommes morts, seul le bruit de mon souffle brisait leur silence. Je me suis assis un instant. La terreur du premier coup d'œil s'est atténuée avec les suivants. Je respirai l'odeur de mort, elle chemina. Le froid pénétrait mon épiderme, me gela jusqu'à la moelle, mais je n'avais plus froid. Sans larme, dans le noir de la nuit, j'acceptais ma mort. Je me suis levé, puis j'ai attrapé une arme et le chapeau d'un officier. Au sol, je laissai ma peur qui entraîna le départ de mes larmes, mais aussi de mon sourire. Je ne courais plus, je marchais droit devant, toujours dans l'obscurité de la nuit, j'avançais au hasard. J'errais dans les bois. Je tuai des animaux avec froideur, j'abattis des hommes comme des animaux, les ai blessé et m'en suis régalé. J'ai tranché les rêves de mes paires pour ne pas être seul à vivre avec le cœur sec. Je faisais couler le sang, couler des larmes, si bien que plusieurs fois je crus m'y noyer.
Une année passa et je revins à l'endroit où j'avais troqué ma peur contre une arme. Dans la clairière, de nouveaux morts, de jeunes soldats et de moins jeunes. Je m'assis devant cet océan de mort. Cette nuit le brouillard était absent, la lueur de la lune arrosait les corps. Je les observai. Un jeune soldat de mon âge attira mon regard. Son uniforme était parfaitement propre à l'exception d'une tâche rougeâtre sur son cœur. Son visage était sans poil, ses yeux étaient ouverts. Je le regardai, il me fixa et m'insouffla un grand frisson, c'était moi. Je clignai les yeux et il disparut. Le frisson ne me quitta plus. Je posai mon arme sur le sol et repris ma peur.
J'allai de continent en continent, marchai des nuits et des nuits. Une de ces nuits, dans l'horizon flou, le jour se leva. Le vent souffla une chaude prophétie qui enflamma toutes les barricades. Je courus étreindre la liberté de mes mains meurtries, l'aimer de mon cœur balafré.