Written by Jean-Simon Bombardier. This article is my 6th oldest. It is 1708 words long.
Les canards
Pourquoi seuls les enfants et les vieillards nourrissent les canards dans les parcs ? Moi, je commençai à marcher très tôt, alors les canards je les ai vite courus. Apeurés, ils se sauvèrent par-delà le monde. Charmé par leurs mœurs, je m'y jetai dans toute ma lourdeur. Dès lors, je pourchassai des bêtes sur des continents que je pensais plus grands que le monde. Je courus mille chemins, mille prairies, puis me suis enfoui dans un boisé qui est vite devenu une forêt.
Près d'un ruisseau, je dénichai un radeau. Je l'enfourchai puis me laissai porter par le courant. Les forces du ruisseau devenu rivière me jetaient de pierre en pierre. Alors j'ai ramé, ramé pour m'extirper de ce mal-être charbon. Les mains ensanglantées, je luttai pour ne pas m'échouer, pour éviter de me noyer. Un soleil, trois nuages et la peur du désespoir eurent raison de mes larmes. La mer se calma, je pansai mes mains d'algues brunâtres. La nuit fut fraîche, j'appréciai le soleil du matin. Au loin, dans l'orangé de la matinée, une île. Je m'y laissai dériver.
Arrivé dans le village, je regardai les gens, ils m'observèrent, nous étions intrigués par nos différences. C'était un village peuplé de pêcheurs, de commerçants et de parfums dont j'ignorais les saveurs. Égaré, déshydraté et oisif, j'allai dans une taverne, posai mon bardas sur une table, et me fit apporter une choppe de bière. À cette heure du jour, seuls quelques marins, de vieux sages et des pirates peuplaient l'endroit. Les choppes s'entrechoquaient, on chantait ses exploits, encensait ces beaux jours endormis depuis plusieurs hivers. Ce théâtre urbain dilapidait de sa légèreté le fardeau de mes réelles préoccupations. Les cloches de l'église sonnèrent, le temps était dépassé, je m'empressai de le rattraper. Dans la rue, à la fenêtre d'une vieille maison de bois usé, mon sourire s'écarquilla. On y louait des chambres. Je réglai avec l'aubergiste les termes de notre cohabitation, gagnai ma chambre et me jetai sur mon lit.
Au matin, j'étais d'une belle humeur, un panier de fruits frais au petit-déjeuner. Sur la terrasse de l'auberge, je rencontrai mon voisin. Il avait couvert les mers de mille explorations, fouetté le vent de mille tempêtes. Il portait fièrement mille cicatrices de ses exploits, dissimulait sur son cœur celle de son amère défaite. C'était un pirate de mille ans. Son œil désorienté expliquait ses nombreux naufrages. Encore avait-il pour fortune d'être toujours en vie. Il me fit présenter son équipage, des matelots de toutes patries, mille raisons d'être ici, toujours cette même cicatrice. Sous les ordres du vieux capitaine, l'heure sonnait un rassemblement des troupes à la taverne. Vint le soir, la nuit puis le matin et les choppes s'entrechoquaient ce soir encore. Certains soirs, des femmes y venaient, tous les soirs nous y étions. De rires et de larmes nous nous sommes saoulés, pour l'amour de l'instant, j'ai succombé. Le clocher de l'église se fit entendre une seconde fois, le temps était arrivé de quitter ce village. Dans les yeux de certains, la peine dissipait le voile de l'indifférence, d'autres avaient les mains remplies de roses. Je partis de nuit. La mer était calme, je me laissai dériver, couché sur mon radeau, envahi d'une heureuse mélancolie.
Au réveil, je me remis à ramer tranquillement. Au midi, les vents portaient en leur paume les semences d'une tempête. La nuit accoucha dans la détresse, elle fit de la mer son exutoire. Elle cracha d'immenses déferlantes qui se délectaient avec appétit de la peur des hommes. Je leur brandis le poing, elles ne me firent que chavirer. Dans les étoiles, je fantasmai être les pieds dans le sable et puis je me rappelai avoir rêvé de la mer les deux pieds dans le sable. Je me hissai sur mon radeau, enlevai mes vêtements et dormis.
Deux nuits passèrent, je trouvai refuge sur une plage rocailleuse. Il n'y avait aucune maison. Une forêt touffue avalait l'espace et dans le vent, des saveurs de fraises. Je tirai mon radeau près des arbres tout en poursuivant mon régal olfactif, mille saveurs de fruits faisaient éclore l'esprit. L'absence apparente de paysans n'éveilla guère quelques appréhensions. Le calme que j'épousais avait pour assises la quiétude qui régnait dans mon cœur. J'attrapai une branche morte et pénétrai dans l'antre de la forêt. En son sein, je me suis arrêté pour l'observer, dans mon œil, un bien-être saveur vanille. Un sourire pour une valse, je lui tendis la main. Je marchai à tout hasard, seul le craquement des branches sous mes pas faisait écho dans cet infini silence. Je franchis trois rivières et deux clairières avant d'apercevoir, dans l'harmonie du décor, un cantonnement. À ce même moment, des hommes surgirent du bois vêtus de grandes tuniques foncées. La surprise me saisit, mais ne m'effraya guère. L'un d'eux s'approcha de moi, mit son regard dans mon œil le moment d'une vie. Puis, il me salua en s'inclinant d'un hochement de tête. Les autres me saluèrent, je les saluai. Jamais l'un deux ne parla, ce qui expliquait le silence de la forêt. Arrivé au campement, ils ont placé à ma disposition un lit et une pitance quotidienne.
Les premières journées, je les ai observées. Sans jamais briser le silence, ils ne cessaient de marcher, jour et nuit. Un jour, las de mon inaction, je marchai avec un groupe de trois prêtres. Nous avons marché la journée entière dans la plaine, le soir dans la brousse et la nuit venue, nous avons gravi une montagne. Au sommet, ils se sont assis. La profondeur du silence amputa ma capacité d'action, je ne percevais plus un souffle, plus mon souffle. Puis le battement d'ailes d'un papillon insuffla à mon cœur les rythmes de la pluie. Je rejoignis les vieux prêtres. Les heures ont passé, les étoiles ont brillé jusqu'au matin, puis nous sommes rentrés. Le jour suivant, je suis demeuré couché. Le temps était chaud, j'avais des entailles aux pieds et de nouvelles fascinations pour les papillons. Quelques jours s'écoulèrent encore et je partis. Mon dernier repas fut succulent, tous les prêtres s'étaient réunis et nous avons bu le vin. Le lendemain matin, je retrouvai la mer.
La mer était la mer, le cœur d'un gamin de neuf ans. Je n'étais guère son père et je n'avais guère les forces pour lui infliger une correction bien méritée. La mer était la mer, elle avait l'oreille profonde. J'y déversai l'arc-en-ciel de mon sang, un torrent dénudé de retenue. La mer était la mer, une indépendance meurtrière. La mer ferma son poing, je lui filai entre les doigts et me réfugiai sur des côtes inconnues.
Les pieds sur la plage, j'aperçus trois villages. Je récitai une comptine afin d'arrêter mon choix, remettant ainsi toute décision au hasard. Je me dirigeai vers le second village, les musiques qui s'échappaient de ses murs avaient des airs de chocolat. Une femme me tendit la main, nous avons valsé, puis elle s'envola. Le baluchon sur l'épaule, les mains ouvertes, je pénétrai le second village. Son ventre frétillait d'une foule qui s'affairait aux affaires. Tous les coins de rue étaient habités par de beaux jeunes hommes et de belles jeunes femmes. Leurs regards se perdaient, je les regardais. Je les ai aimés, il me fallut de beaux habits. Pour Noël, j'avais pour seul souhait ne jamais me salir, au Nouvel An, j'avais volontairement arraché les manches de ma chemise.
Au bout du chemin se trouvait trois autres villages. Je repris ma comptine. La chance me sourit, le chemin qui menait au deuxième village était le plus facile. La journée passa avant que j'eus rejoint le village désigné. La pluie lavait les rues de toute activité, un désert de larmes dans cette pluie sèche. Trois ou quatre enjambées en cette contrée ont suffit à détremper mes bottines. Je marchais de bon pas, derrière une église, un abri, un peu de répit. Puis, d'un bosquet jaillit une vieille femme. Son propos chancelants comme sa démarche la dénudait de toute crédibilité. Elle chantait la promesse de me faire prince, elle qui n'avait ni la beauté d'une princesse ni la richesse d'une reine. Alors que son attention lui fit à nouveau défaut, j'en profitai pour fuir les lieux. Dans les rues, je longeai les immeubles, évitant la lueur des réverbères, évitant de cligner des yeux. Devant moi, deux soldats avec pour mandat, le maintien de la paix. Je baissai le regard, ils reniflèrent mon air, puis ne remarquant aucune menace, continuèrent leur route. Dans la rue, je marchais rapidement, tourmenté dans cette nuit qui régnait froidement et sans pitié. Le matin se fit supplier avant qu'il ne daigne asperger la pénombre de ses gouttelettes d'espoir. L'aurore me dévoila alors, au bout de ma route, deux autres villages, je m'y précipitai sans retenue.
Je délaissai ma comptine et observai les deux villages. Je décidai d'aller en direction du premier village. Dans son cœur, une vieille maison abritait ce qui échappe aux journées. Sur la galerie, un vieil homme était assis sur une chaise de bois, l'œil inquiété. Les passants chantaient des fables qui remontaient aux temps anciens. Le vieil homme avait reçu un châtiment, dans son œil cent chemins faisaient mille arrivées. Ses visions l'étourdissaient, voilà pourquoi il ne quittait jamais sa chaise. Les arbres racontaient qu'il essaya, à quelques reprises de se lever, mais chaque tentative fut vaine. À sa dernière tentative, il s'était fracassé l'orgueil sur le seuil de son invalidité. Depuis, il était demeuré ainsi, assis sur sa chaise, à pointer l'horizon d'une main tremblante de peur. Je m'approchai devant lui, regardai dans son œil. Il me regarda. Sa main arrêta de trembler, il se leva et alla au salon. Curieux, je me glissai près de la fenêtre qui dévoilait le salon, l'homme y était pendu.
Dès lors, je n'ai plus porté de réelles intentions à mon chemin, je cherchai des réponses aux montagnes, questionnai les déserts. Je marchai cent fois tous les chemins avant d'apercevoir deux autres petits villages. Machinalement, je me dirigeai en direction du deuxième.
Le vent y était chaud, des cris d'enfants et des bruits de ballon embaumaient le champ musical. Je me suis assis sur un banc avec un sourire fatigué. Je relevai la tête, les enfants couraient et les canards se régalaient à mes pieds.