Written by Jean-Simon Bombardier. This article is my 5th oldest. It is 1029 words long.
Le Monde des Hommes
J'arrivai dans le Monde des Hommes le torse gonflé comme mes ambitions, les mains tremblantes comme mes convictions. Je pris de grandes bouffées d'air, bafouillai mon jeune âge, prétextant le passage du temps dont je ne connaissais que le nom. Je souris bêtement, elle passa sa main dans mes cheveux puis j'avançai dans ses pas. Tout était si grand, tout était si gros, cela m'a semblé superflu. Je fus d'abord étourdi par cette envergure, puis enivré par ce tourbillon de lumières couleur rêve-orangé. Je déambulai, puis déboulai quelques escaliers avant de remonter de quelques paliers. Derrière un grand rideau verdâtre, une femme accouchait, puis une armée de vieux arbres valsait sous les airs d'une impatience éternelle. J'ai questionné, cherché à connaître les origines de cet attroupement. «Une raison d'inconfort» m'ont-ils répondu en cœur. Dès lors, je n'ai guère osé critiquer leur habit jaune-moribond, j'eus peur de les achever. Jamais de l'extérieur, je n'aurais imaginé que Le Monde des Hommes cachait une si grande blessure.
Je repris mon chemin le souffle moins pressé. Au bas de la rue, un immense champ engloutissait dans ses immenses fleurs des milliers de petits elfes. Je m'y agenouillai un instant, l'œil affamé des milles faisceaux lumineux de couleur turquoise-brillant à désespoir-foncé. Les elfes demeuraient un temps dans leur fleur, courtisant les chaudes saisons, comme les froides. Au sortir de leur crèche, une mielleuse mélodie berçait l'envolée d'un premier bataillon d'elfes. Une seconde troupe déployait des ailes stériles et brûlées par les flammes d'un jeu qui n'était pas pour eux. Les elfes sautaient de fleurs en fleurs, rebondissaient sans pudeur pour rejoindre les premiers. Un troisième contingent d'elfes était expulsé. Ceux-là tombaient de leur pétale, heurtaient parfois un peu de feuillage et s'échouaient sur le sol. La mort se régalait de certains des tombés. Ici la mort était bien grasse. Ceux dont la mort n'avait pas voulu, confus par les chocs encourus dans leur chute, valseront jusqu'à la dernière danse, trois temps derrière la parade. Je tournai la tête en direction des vieux arbres, puis je vis leurs blessures. Le Monde des Hommes abritait une étrange faune.
Je traversai des branchages, enfourchai un bosquet et arrivai dans un parc. Le soleil chauffait le sable dans lequel mes pieds se perdaient. Un doux parfum dans le vent et soudain, une magnifique tignasse rouge-abandon sur mon ventre. Puis cent femmes autour de moi chantaient sans vêtement, l'hymne aux seigneurs victorieux. La plus belle s'avança et posa son cœur sur le mien, il fit chaud. Les cents femmes dansaient, puis sont disparues en un soupir. Elle passa sa main dans mes cheveux, puis s'en alla. Je m'abreuvai des perles de rosée tombées du collier de ma dulcinée. Le Monde des Hommes m'enivrait, je m'y saoulais sans soucis. Le soleil couleur première-passion me faisait me délecter des perles de rosée avec démence. Devenu un fervent apôtre des perles et les ayant toutes bu, je me suis abreuvé du sable. Mon cerveau se convaincu de ce subterfuge. J'en avalai des dunes avant que ma langue ne détecte la supercherie.
Dans un établissement sombre, j'arrêtai ma course. Devant l'intoxication imminente, j'enfilai de grands verres d'eau de vie. Quelques heures dans Le Monde des Hommes m'avaient laissé croire que j'y étais né. Le choc heurta sans merci mes illusions. Elles tombèrent, le flot d'incongruités que j'ai avalé les avait déporté, poussé à échouer sur des côtes de perditions. Dans Le Monde des Hommes, une réponse n'apportait qu'un questionnement. Je laissai alors tomber quelques-unes de mes interrogations.
Dans l'un des coins de l'endroit, une meute de jeunes loups astiquaient leur virilité fébrile. Ayant perdu toute confiance envers Le Monde des Hommes, je quittai l'endroit.
Plus loin sur le chemin, se dressait une grande fourmilière. Arrivé à son chevet, une stupéfaction bleue-frisson saisit mon sang, la fourmilière piquait le ciel de son extrémité. Je me suis adossé à un arbre, hypnotisé par la constance du mouvement. Un mouvement d'inaction. Même le plus rapide des Hommes, s'il tourne en rond, n'en sera que plus étourdi et plus essoufflé. De grands cerceaux et milles tornades se gavaient de pierres et de poussières. L'énergie de leur piétinement enfantait une lumière jaune-envie. Parfois, certains étaient expulsés de ce manège et ils planaient au-dessus de la clairière avant de s'échouer dans les arbres. Ils étaient mes préférés, ils me faisaient rire. La simplicité présente dans Le Monde des Hommes pansait, le temps d'un soupir, les cicatrices de l'apprentissage.
Je me relevai et continua mon chemin. Depuis mes balbutiements dans Le Monde des Hommes, un certain groupe de jeunes hommes d'instinct suivaient le même chemin que moi. Deux d'entre eux étaient à portée de bras. Celui de droite avait le visage couleur blanc-Cendrillon, celui de gauche avait des yeux rouge-matin. Ils marchaient près de moi et sans se regarder, nous nous observions. Leur respire était l'écho du mien, leurs pas me guidaient.
Près d'un boisé, dans la brume grise-arc-en-ciel, se perdait un grand champ de statuettes. De petites et de grandes, de bois comme de pierres. On venait y mettre en terre des bouquets et des arbustes qui n'arrivaient guère à dissimuler ces mémoriaux. Des gens venaient y pleurer, les fontaines s'abreuvaient des larmes d'une paysanne. Je fus attristé de voir d'autres gens qui déambulaient dans l'antre de cette haie d'honneur de la mort, fiers de leur indifférence. Je m'approchai des monuments et vis de courageux chevaliers, des vieillards et des enfants trop tôt épuisés. Elle passa sa main dans mes cheveux. Le souffle du temps avala toute cette brume, mais les secondes demeuraient empreintes de son doux parfum porté par le vent.
Je retrouvai le chemin, Le Monde des Hommes m'épuisait. Je souhaitais retourner chez moi, me reposer un jour. J'empruntai le chemin qui me mena ici, repassai devant le champ de statuettes, la fourmilière, puis je me perdis. Je cherchai les grands champs de fleurs, tournai à droite deux fois, puis une fois à gauche. J'aurais dû y être. La pénombre s'assoyait sur Le Monde des Hommes, je demandai ma route auprès des passants. Tous connaissaient les fables de ce monde, mais aucun ne pouvait m'indiquer le chemin à emprunter. On me sourit gentiment : «Bienvenue chez toi».